Topless : Y a t-il une différence lorsque tu produis
pour des artistes comme Blu, Fashawn ou Johaz ? As-tu une approche
spécifique avec chacun de ces rappeurs ou est-ce une sorte de routine ?
Exile : La plupart du temps c’est une démarche que je
fais tout seul, avant de me demander quel rappeur serait le plus adapté à poser
sur l’instru. Je leur fait ensuite écouter mon travail et on voit si ça colle.
D’autres fois je réalise un beat pour un rappeur en particulier et soit le mc
est immédiatement enthousiaste, soit je dois le convaincre qu’il est le plus à
même de poser sur le son. Enfin dans le dernier cas de figure c’est le rappeur
qui vient me voir et qui me lance une requête particulière.
Topless : On a toujours eu l’impression que ton album
avec Blu « Give me my Flowers while I can smell them » était un peu
sous estimé par rapport à « Bellow the Heavens ». Qu’en
penses-tu ?
Exile : J’ai l’impression que « Bellow the
Heavens » est un disque plus énergique, alors qu’on a conçu le second dans
un esprit plus proche de A Tribe Called Quest ou des Native Tongues, avec une
ambiance plus relax, le genre d’album qui s’écoute un joint en bouche ou dans
ta caisse. En plus de ça on voulait montrer une autre facette de Blu. Au final
chaque disque correspond à une humeur différente.
Topless : Nas fête en ce moment les 20 ans d’Illmatic,
que représente cet album pour toi ?
Exile : Un classique tout simplement, un album qui
reflète son époque. Après dans la même période je suis plus friand de disques
comme le premier Jeru the Damaja ou « Death Certificate » d’Ice Cube.
En fin de compte Illmatic est facilement digérable. Attention c’est un disque
que j’adore, mais je trouve qu’en comparaison « Death Certificate »
est aussi bon, voire peut-être meilleur. Il est moins populaire dans le monde
du fait de ces thèmes et du contexte de sa sortie après les émeutes de Los
Angeles lorsque c’était la folie en ville, mais pour moi ça n’en reste pas
moins un classique à part entière.
de gauche à droite : Wordsworth, Stricklin et Masta Ace
Le 7 novembre 2014, le groupe eMC était à Strasbourg pour un show qui a enflammé le public présent ce soir là au Molodoï. Auparavant on a posé quelques questions au crew new-yorkais composé de Wordsworth, Stricklin et du légendaire Masta Ace. (Punchline, 4ème membre du groupe, avait été écarté peu avant le début de la tournée européenne)
On a retrouvé le groupe juste avant qu'il monte sur scène, celui-ci laissant planer une ambiance très décontractée avec notamment un Masta Ace faisant preuve d'un zen et d'une froideur qui allaient quelques minutes plus tard laisser place à une énergie et une implication remarquables. Le calme avant la tempête.
Topless : Comment se déroule la tournée jusqu’à
présent ?
Masta Ace : Franchement bien. On a fait plein de pays,
l’Angleterre, l’Allemagne, La Suisse … On nous attend en Pologne et en Suède.
Que du positif pour l’instant.
Topless : Tu as dit dans une interview que la tournée
que tu avais effectuée en Europe en 2000 avait été l’élément qui t’avais poussé
à continuer ta carrière. Peux-tu nous expliquer ?
Masta Ace : Oui c'est vrai, lors de cette tournée en 2000, je me suis
rendu compte que j’avais encore des fans qui s’intéressaient vraiment à ma
musique. C’est ça qui m’a motivé à retourner en studio et qui m’a permis de
réaliser Disposable Arts en 2001, qui est d’une certaine manière l’album qui a étendu
ma carrière jusqu’à aujourd’hui. (Masta Ace n'avait plus sorti d'album depuis 1995)
Topless : Cette année on a pu t’entendre sur le morceau
« Innovation », présent sur l’album Hip Hop after All du producteur
français Guts. Comment s’est passée cette collaboration ?
Masta Ace : Ce qui se passe dans ce cas là c’est qu’un
artiste ou un producteur essaie de me contacter soit par e-mail, soit me
rencontre directement pendant une tournée. On s’occupe du coté business et
après on m’envoie le beat par mail, je l’écoute, j’écris et j’enregistre chez
moi avant de renvoyer tout ça au producteur. Et comme ça t’obtiens une track
« internationale ».
pochette du premier album de eMC, The Show, sorti en 2008
Topless : Stricklin, tu viens de Milwaukee qui n’est
pas vraiment une ville reconnue pour sa scène rap. On a vu une photo de toi ou
tu arbores un t-shirt avec écrit « I’m from Milwaukee and that’s not
funny ». Peux-tu expliquer ce manque de reconnaissance pour ta
ville ?
Stricklin : En général quand tu dis que t’es de
Milwaukee, les gens commencent à se marrer. Cette ville est plus connue pour
des choses qui n’ont rien à voir comme le serial killer Jeffrey Dahmer ou la
série Happy Days. Personne n’a jamais vraiment représenté correctement cette
ville, c’est pourquoi les gens sont surpris quand je dis que je viens de là
bas.
Topless : En parallèle à ta carrière de rappeur, tu es
pompier et auxiliaire médical. Comment arrives tu à combiner ces deux activités ?
Stricklin : En fait c’est assez simple car mon emploi
du temps est plutôt flexible. En tant que pompier je bosse 24 heures et ensuite
j’ai 48 heures de libre. J’expliquais à un ami avant que je peux échanger mes
heures avec des collègues, ce qui m’arrange bien. Donc honnêtement j’ai de la
chance, c’est probablement le job idéal afin que je puisse me consacrer
pleinement à la musique.
Topless : Wordsworth, ton premier album, Mirror Music, est sorti il y a
10 ans. Quelle est la différence entre le rappeur que tu étais à l’époque et
celui d’aujourd’hui ?
Wordsworth : Il y a eu une évolution. Aujourd’hui je me
soucis moins de ce que les gens disent ou pensent de mon travail. Lorsque j’ai
enregistré mon premier album, c’était une découverte pour moi, et forcément tu
es réceptif aux différents avis et opinions qui gravitent autour de ton premier
projet. En vieillissant on y prête moins attention, et je me suis rendu compte
que ça permet de se libérer musicalement.
Topless : Tu as eu la chance d’être sur le dernier
morceau du dernier album de A Tribe Called Quest (« Rock Rock
Y’all », 1998) ! Comment tu t’es retrouvé là ?
Wordsworth : Punchline et moi on était présent à un événement
organisé par Q-Tip. Il nous a appelé le lendemain et voulait bosser avec nous.
On a pas mal traîné avec eux vers cette époque et on a fini sur l’album.
C’était une période ou Q-Tip voulait mettre de nouveaux artistes en avant.
Topless : Ace, tu étais sur l’album de R.A The Rugged
Manintitulé Legends never Die. Ce n’est pas un secret, tu approches de la
cinquantaine. Penses tu que le titre de cet album s’applique aussi à toi ?
Masta Ace : On fait ça parce qu’on croit et on espère
que notre musique survivra le test du temps, mais ça dépend également beaucoup
des jeunes générations. Peut être que dans 100 ans des gens qui n’auront aucune
idée de qui je suis écouteront ma musique. Si c’est le cas, c’est que
différentes générations auront continué à faire vivre mes sons, à transmettre
cet héritage. C’est la marque que je laisserai sur cette terre.
Topless : Tu t’étais fait découvrir sur le morceau «The
Symphony» de Marley Marl. Es-tu toujours en contact avec des membres du Juice
Crew ?
Masta Ace : Les personnes avec qui je suis toujours en
contact sont Graig G, Big Daddy Kane et Marley Marl. Les autres sont plus dur à
joindre, ils changent constamment de numéro de portable, du coup je suis
toujours content quand je peux les croiser à un événement. Cette année j’étais au
Radio City Music Hall à New York avec Kane et j’ai vu Kool G Rap pour la
première fois depuis pratiquement 17 ans ! On été tous ensemble sur
scène : moi, Marley, Craig G, Kane, Kool G Rap, DJ Polo … C’était vraiment
super (ce 25 janvier 2014, tous les participants du morceau « The
Symphony » l’ont interprété pour la première fois depuis 1989). Mais oui il
y a certains gars avec qui je n’avais pas parlé depuis un moment.
Topless : Vous avez sorti un EP cette année qui
ressemble à un teaser pour un prochain projet. Que peut-on attendre du prochain
album d’eMC ?
Masta Ace : Il y aura entre 10 et 12 tracks, très
différentes de ce qu’on propose sur l’EP. L’album est presque fini, on doit
encore faire des petits ajustements mais on approche du but. En tout cas on est
assez satisfait de notre travail et on est tous impatient que le public
puisse enfin l’écouter.
Topless : Pour finir, que penses tu de la scène rap
actuelle à New York ?
Masta Ace : Mon inquiétude par rapport au rap new-yorkais et de Brooklyn en particulier, c’est le son. Le morceau le plus populaire du moment est
celui de Bobby Shmurda, et pour moi ça n’a rien d’East Coast, c’est influencé
par le sud. New York a en quelque sorte perdu son identité ses dix dernières
années, beaucoup d’artistes du coin sonnent pareil. Mais il y a quelques lueurs
d’espoir. Je croise les doigts pour que Brooklyn retrouve son lustre d’antan.
On a besoin de retrouver un son new-yorkais, une marque, quelque chose qui nous
définit.
Lorsque nous avons appris que Black Milk allait se produire à Colmar, on ne pouvait tout simplement pas passer à coté de l'évènement. On retrouve le rappeur de Detroit le 22 Novembre 2013, un peu plus d'un mois après la sortie de son dernier album, juste avant son concert. Black Milk parait froid au premier abord, mais va se lâcher au fur et à mesure d'un entretien sensé durer une quinzaine de minutes, et qui sera au final trois fois plus long ...
Topless : Tout d’abord félicitation pour ton album
« No Poison No Paradise », on a vraiment aimé et on le retrouvera
sûrement dans nos Awards de fin d’année …(en fin de compte on l'a bien élu album de l'année 2013)
Black Milk : Oh merci les mecs, je me sens déjà bien là
(rires) … la réception du public vis à vis de cet album a été encore meilleure
que ce que je pouvais espérer. Je me doutais que les gens l’apprécieraient,
mais pas à ce point.
Topless : D’où vient le titre de l’album ?
Black Milk : En fait c’est une sorte d’album concept où
l’on suit un personnage qui décrit différents aspects de sa vie tout au long du
projet : les hauts et les bas, l'environnement dans lequel il a grandi, son
adolescence, mais aussi sa vie d’adulte, tout cela contenu dans un grand rêve
qui forme l’album.
J’ai utilisé ce titre « No Poison No Paradise »
comme un jeu de mot, un autre moyen pour discerner le bien et le mal, l’ombre
et la lumière, tous les aléas de la vie que nous connaissons.
Topless : Tu en parles d’ailleurs beaucoup dans la
première chanson de l’album, « Interpret Sabotage », l’introduction
du projet, qui est une sorte de résumé des évènements à suivre dans l’album.
Sur le deuxième morceau, l’excellent « Deion’s House », tu collabores
une nouvelle fois avec Will Sessions (un live band de Detroit qu’on pouvait
déjà retrouver sur son album précédent, également présent sur le très ambitieux
« Elmatic » d’Elzhi), quelle est l’histoire de ce titre ?
Black Milk : C’est une des dernières chansons que j’ai
enregistré pour l’album. C’est marrant parce qu’en fait il y avait ce sample
que je comptais retravailler, et je me suis rendu compte que Will Sessions
l’avait joué devant moi il y a à peu près un an. Je les ai donc contacté pour
qu’ils m’envoient leur instru et en l’écoutant je me suis dit qu’il valait
mieux utiliser leur version plutôt que de galérer avec le sample.
Topless : Autre élément intéressant de ce projet, la
pochette, avec ce coté psychédélique qui rappelle Funkadelic, comment t’est
venue cette idée ?
Black Milk : Le design de la pochette est toujours une
chose à laquelle j’attache de l’importance, surtout en tant que collectionneur.
J’adore fouiller chez les disquaires et tomber sur des disques des années
60/70, avec ces pochettes fantaisistes. Bien sûr la musique reste primordiale,
mais je suis quelqu’un de très pointilleux, je fais attention à tous les
détails, que ce soit la musique, le mixage, la pochette, le marketing … Donc
quand j’ai su quel chemin j’allais prendre avec cet album, j’ai tout de suite
pensé à cette imagerie que pouvait avoir Funkadelic.
J’ai contacté June Bug, un talentueux dessinateur de
Dallas, et je lui ai expliqué dans quelle direction je voulais aller pour cette
pochette, quel style je recherchais : j’ai évoqué des pochettes de George
Clinton, notamment celle de « Hardcore Jollies ». Il s’est inspiré de
ça tout en y mettant sa touche personnelle et le résultat s’est avéré
génial !
"No Poison No Paradise", 6ème album de Black Milk, sorti le 15 octobre 2013
Topless : Concernant Dallas, tu vis là bas à présent.
C’est la première fois que tu enregistres un album hors de ta ville natale de
Detroit, est-ce que cet éloignement a affecté ta perception de cette
ville ?
Black Milk :D’une certaine façon oui. Après je dois avouer que je suis pas le genre
de personne qui sort beaucoup, la plupart du temps je suis chez moi, dans mon
« labo » en train de travailler. A ce stade de ma carrière,
l’environnement dans lequel je me trouve n’affecte pas tant que ça ma musique,
ou alors très peu. Je peux allez n’importe où dans le monde, tant que mon
matos, mes disques et ma créativité sont au rendez vous je me sens comme un
poisson dans l’eau. Mais c’est vrai que toute mon inspiration vient de Detroit,
je suis né et j’ai grandi là bas, quoi que je fasse Detroit fait partie de moi.
Pour autant je pense que le fait d’enregistrer à Dallas a été bénéfique pour
moi, ça fait aussi du bien de respirer un autre air. Le seul facteur gênant
était l'absence des collaborateurs avec lesquels je travaille
d’habitude, que ce soit les musiciens, les rappeurs ou les ingénieurs son. Pour
ce projet j’étais vraiment tout seul en studio avec ma MPC et mes disques, je
me suis occupé de tout : l’écriture, la production, le mix, le mastering … Mais
j’aime le résultat final, j’ai vraiment apprécié de pouvoir réaliser un album
plus épuré que le précèdent, qui était assez bruyant et plus dispersé.
Topless : Qu’est ce qui a changé dans ta manière
d’écrire pour cet album ? On a trouvé qu’il y avait une vrai différence
avec ton travail passé.
Black
Milk : Tout d’abord, il faut savoir qu’en règle générale je
commence toujours avec la production, je me concentre sur les beats et ne
m’intéresse à l’écriture qu’après. J’avais l’impression après avoir enregistré
les premières instrus que la musique parlait d’elle même, qu’elle se suffisait
à elle même, ce qui m’a pas mal intrigué. Les deux premières tracks que j’ai
finalisé étaient "Sunday’s Best" et "Monday’s Worst". Une histoire commençait à se
créer, il y avait une connection entre les morceaux, et naturellement j’ai
senti qu’il fallait que je m’appuie là dessus pour ce projet. Ça n’aurait pas
eu de sens si j’avais laissé ce coté « storytelling » au milieu de
l’album, entouré de couplets qui n’auraient eu aucun rapport.
L’autre raison c’est le fait de vieillir. Je peux maintenant
commencer à regarder dans le rétro et contempler les différentes expériences
que j’ai traversé, dans la musique mais aussi dans la vie en général. Forcément
avec le temps j’ai plus de choses à raconter.
Topless : C’est ce qu’on a aimé justement : un
peu à l’instar de Good Kid Maad City de Kendrick, la production est en parfaite
osmose avec les paroles, et même quand il n’y pas de lyrics comme sur
« Sonny Junior (dreams) » avec Robert Glasper et Dwele, l’atmosphère
est tout de suite identifiable. Comment s’est passé cette collaboration
d’ailleurs ?
Black Milk : J’avais bossé avec Glasper dans le passé,
sur un remix de Black Radio, et ça m’a donné envie de renouveler l’expérience.
Quand le moment est venu, il fallait que je me décide sur la place qu’il
occuperait sur l’album. J’ai pour habitude de placer des morceaux exclusivement
instrumentaux sur mes projets et j’ai pensé qu’il collerait bien avec cette
track, où je voulais exprimer en musique le rêve de Sonny Jr. J’ai donc envoyé les
percussions à Glasper, il m’a envoyé différentes lignes de piano et Dwele s’est
occupé des cuivres. Le résultat est magique.
Topless : Quelle est ta relation avec Black Thought ? On a été assez surpris de le retrouver sur cet album.
Black Milk : Oui je savais que ça allait surprendre des gens !
Topless : Positivement ! On est plus habitués à des mecs comme Elzhi, Royce Da 5'9 ...
Black Milk : Les gens s’attendent toujours à ce que je
bosse avec des gars de Detroit, et ça ne me dérange pas, mais pour cet album je
voulais pas avoir trop de guests, et surtout bosser avec des artistes avec
lesquels je n’étais pas familier. Je suis un gros fan de Black Thought, comme
la plupart des gens. C’est un rappeur fantastique... Et puis je trouvais qu’il se
fondait bien dans ce type de son conceptuel que j’essayais de faire. Du coup je
lui ai envoyé le morceau "Codes & Cab Fare" avec mon couplet et il a aimé.
Par contre il m’a prévenu, la prochaine fois il veut faire un morceau plus
hardcore à la « Loosin Out » ou « Deadly Medley » (rires).
Topless : D’après toi qu’est ce qui différencie les
MCs de Detroit à ceux de villes plus grandes comme New York ou Los Angeles ?
Black Milk : Je pense que tout le monde a les pieds sur
terre à Detroit. Il n’y a pas autant de distractions qu’à L.A ou New York, là
bas c’est plutôt facile d’avoir la tête ailleurs. A Detroit on a pas ce
problème, tout ce qu’on peut faire c’est bosser, rester dans une pièce toute la
journée et continuer à s’améliorer. Quand t’écoutes un mec de Detroit tu
ressens ce feeling particulier, cette attitude, cette mentalité
d’ « underdog » propre à cette ville, et ça motive tout le monde
à se dépasser et se donner à 100%.
Topless : En parlant de Detroit, les artistes locaux
sont très actifs en 2013, notamment depuis Septembre, avec les albums de
Clear Soul Forces, Big Sean, Guilty Simpson, Eminem … C’est pas nouveau que
Detroit soit de plus en plus représenté, mais t’as pas le sentiment que cette
année ce constat est encore plus flagrant ?
Black Milk : Oui c’est clair, les fans de hip hop ont
toujours soutenu les gars de Detroit, mais c’est vrai que cette année c’est
spécial, comme tu l’as dit tous ces artistes ont sorti leurs albums dans le
même laps de temps, sauf que c’était pas vraiment prévu ! Danny Brown a
sorti son album en octobre, Boldy James aussi … Le même jour que moi en
fait (rires). C’était la folie … Donc oui on peut dire que les projecteurs
étaient braqués sur Detroit, mais je vais vous dire, je pense que c’est une
tendance qui va continuer dans les prochaines années. On a aussi beaucoup
d’autres gars qui sont pour l’instant dans l’ombre, comme Quelle Chris qui est
sur mon album et Denmark Vesay, qui vont certainement exploser dans un futur
proche.
Topless : Pourquoi n'as-tu plus
collaboré avec Danny Brown depuis l'EP « Black & Brown » de 2011 ?
Black Milk : Danny a passé beaucoup de temps sur les routes pour sa tournée
depuis. Mais ce n'est que partie remise, on travaillera de nouveau ensemble à
l'avenir. Comme d'ailleurs avec Royce Da 5'9" et Elzhi, c'est juste une
question d'emploi du temps.
Topless : Qu'est-ce que tu as pensé du deuxième «
Marshall Mathers LP » sorti récemment ?
Black Milk : « Marshall
Mathers LP 2 », c'est vraiment le retour du Eminem que les gens aiment. Ce mec
a un tel niveau technique quand il rappe… Il est tellement habile techniquement
! Je suis certain que les gens ne captent même pas à quel point. C'est différent quand toi-même tu rappes, tu comprends mieux certaines choses, et dans le milieu il est très respecté.
Eminem a vraiment gardé
cette forme de passion, cette envie de constamment repousser ses limites
lyricales… Ce type est vraiment dans une autre dimension.
Topless : En dehors d'Eminem, quel est ton rappeur préféré de Detroit en ce moment ?
Black Milk : Je ne les connais vraiment pas tous ! Faudrait que je me prenne le
temps de tous les découvrir… Mais à choisir, je dirais Quelle Chris. On se
connaît depuis 2005, il est d'ailleurs en featuring sur mon album, et c'est
vraiment le rappeur que j'apprécie le plus de Detroit, et avec lequel j'ai
vraiment envie de bosser à nouveau à l'avenir.
Topless : Ces derniers mois on a pu
assisté à l'éclosion ou à la confirmation d'une nouvelle génération de
rappeurs, comme Joey Bada$$, Action Bronson ou encore Chance The Rapper ;
qu'est-ce que tu penses d'eux ? Est-ce qu'on peut s'attendre à d'éventuelles
collaborations dans le futur ?
Black Milk : J'espère que ça
se fera ! Surtout avec ceux de New-York. En tout cas je les apprécie
énormément. Ce sont vraiment d'excellents MCs, surtout en live.
Topless : Est-ce que tu considères que c'est un
avantage d'être rappeur et producteur sur son propre album ?
Black Milk : Carrément, oui. Il y a une vraie différence entre les albums des rappeurs
/ producteurs et des MCs tout court. Le problème, c'est que la plupart des MCs
cherchent à avoir un maximum de producteurs différents sur leurs albums. Très
peu de rappeurs comprennent l'avantage de n'avoir qu'un seul producteur, qui va
donner une cohérence à votre projet.
Au-delà de ça, les MCs qui
sont aussi producteurs ont une bien meilleure compréhension des mélodies, ou des
refrains par exemple. Il y a vraiment une cohésion dans la musique de Kanye
West, de Pete Rock, d'Havoc ou encore de Big Krit.
Topless : Tu vas monter sur scène avec un live
band ce soir. D'où t'est venue cette envie d'avoir des musiciens pour t'accompagner durant vos concerts ?
Black Milk : Je fais mes tournées avec un live band depuis mon album Tronic,
donc depuis 2008. D'ailleurs depuis cette époque j'utilise aussi beaucoup plus
souvent des instruments pour mes sessions en studio. Disons que le fait d'avoir
des musiciens sur scène permet d'exploiter les morceaux différemment, d'offrir
une expérience inédite au public. Après c'est certain que ça ne marche pas pour
tout le monde. Tout dépend de ton approche de la musique, de ton niveau de
musicalité.
Topless : Pour finir, quelles sont tes influences musicales ?
Black Milk : Rien de vraiment récent… La plupart des albums que j'écoute sont
sortis dans les années 60, 70, voir même dans les années 80. Des artistes comme
George Clinton, Prince, ou encore de l'électro-pop avec des groupes comme
Kraftwerk.
Dimanche 13
juillet, camping de l’Openair Frauenfeld, 6 heures du matin. Le jour se lève et
dévoile un tableau pour le moins chaotique. Des tentes renversées, des
tonnelles terrassées, le niveau de l’eau presque à nos genoux par endroits, des chaises
délabrées, un cadis qui flotte juste devant mes yeux … Serait-ce
l’apocalypse ?
L’Openair
Frauenfeld commence bien avant qu’on y ait mis les pieds. J’avais bien sûr
entendu parler de THE festival hip hop d’Europe, un événement qui rassemble
chaque année plus de 150 000 personnes venues se délecter du spectacle proposé
par les plus grands noms du rap ricain et européen pendant trois jours.
La première ébauche
de la programmation 2014 était tombée il y a quelques mois, et je ne peux pas
dire que j’étais plus enthousiaste que ça : Macklemore & Ryan Lewis,
Wiz Khalifa, Danny Brown, Immortal Technique, Youssoupha (oui je serai amené à
parler un peu de rap français, une fois par an ça fait pas de mal) … ça m’en
touche une sans faire bouger l’autre.
Je faisais
beaucoup moins le malin quand le reste des invités fût annoncé: Nas, Outkast,
Pharrell, Schoolboy Q, Chance the Rapper, T.I, Joey Bada$$, Vic Mensa, Mobb
Deep, IAM, Isaiah Rashad, Earl Sweatshirt, Angel Haze, Bootcamp Click, YG, A$AP
Ferg, Iggy Azalea …
(Au final Earl Sweatshirt sera remplacé par Ab-Soul, Danny
Brown par les Underachievers et T.I par K.I.Z)
OMFG !!!! Des stars (légendes même), pleins d’artistes
« Topless Approved », des new comers et … Iggy Azalea (pas fancy).
Topless se devait d’envoyer un de ses membres à cette orgie musicale, et lucky
me, c’est bibi qui s’y colle.
Forcément un
événement d’un tel calibre, t’y penses déjà des jours avant. Tu checkes la
météo suisse tous les jours, tu te demandes comment Andre 3000 sera sapé,
t’essaies d’imaginer la dose d’alcool nécessaire pour tenir le coup, et tu mets
ton Ipod en mode Frauenfeld.
Pour ce gros trip
hip hop, je suis accompagné d’un duo de choc : Diego AKA Dancing Machine
et Hortense AKA l’Architecte. Départ de Strasbourg le jeudi 10 juillet vers 10
heures, la motivation est à son comble et tout est prêt : tente, bâche,
sacs de couchage, glacière ... et bottes et K-Ways. Et oui malheureusement
le temps ne sera pas avec nous, et on s’en rend compte dès notre arrivée sur le
site. Ciel grisâtre, averse, sol boueux au possible, cette année ce sera
Mud’N’Music !
Bon fini l’intro,
et cap sur le rap parce que c’est ce qui nous intéresse tout de même.
Day 1 : De
Chicago à Atlanta, il n’y a qu’un pas (dans la boue)
Dès l’instant où
on sort les pieds de la voiture, on pouvait entendre Ab-Soul pendant son set.
Je reconnais « Nevermind That » de loin, on est en train de se diriger vers
l’entrée pour s’installer au camping pendantqu’Ab-Soul continue sa performance. Un peu déçu de pas avoir pu
apprécier les titres de son nouvel album « These Days » en live, mais
bon on se consolera avec les deux autres membres de TDE que sont Schoolboy Q et
Isaiah Rashad. On ratera aussi le Bootcamp Click et … Iggy Azalea qui ne s’est
pas pointée pour une raison inconnue, perso c’est pas ça qui va gâcher mon
week-end.
Le temps de tout
installer, préparer les sandwichs et la picole, on est enfin prêt à en
découdre, et quoi de mieux pour commencer que l’une des révélations de 2013,
j’ai nommé Chance The Rapper ! Le gamin de Chicago est venu bien entouré
puisqu’il se présente avec un live band complet, « The Social
Experiment ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a envoyé
grave ! On a droit à tous les gros titres de sa mixtape Acid
Rap : "Juice", "Pusha Man", "Favorite Song", "Everybody’s something" et
bien entendu un "Cocao Butter Kisses" dopé aux amphétamines avec une énergie de
malade … qui ne sera pas vraiment rendue par le public. Quelques irréductibles
fans se sont bien faits entendre au devant de la scène, mais l’ambiance générale
était assez calme.
Chance n’est pas
(encore) une star, et surtout son style diffère beaucoup de tout ce qu’on sera
amené à voir durant ces trois jours, ce qui à l’air de laisser le public un peu
perplexe. Pourtant Chance sait faire le show, bouge dans tous les sens, et je
pense même qu’il est peut être plus accessible en live du fait de sa voix plus
grave qu’en studio, mais il faut croire que ce n’était pas suffisant … Personnellement
cette performance m’a scotché, l’apport du live band amène définitivement un
plus aux chansons de Chano qui d’après ce qu’on a vu est super à l’aise sur
scène.
En tout cas je
reste catégorique : ce mec a un talent fou, et cette prestation live ne
fait que me conforter dans cette idée. (j'aurai bien mis un extrait vidéo de Chance mais on m'entend chanter comme une groupie ... et je n'assume pas)
Mais pas le temps
de traîner, et on est pas les seuls à le comprendre puisque la foule commence
déjà à se déplacer vers la grande scène de droite. En effet c’est tout
simplement la star de l’année qui va se produire sous nos yeux dans quelques
instants. Pharrell Williams est assurément l'artiste le plus "bankable" du moment. « Get Lucky », « Happy » sans oublier
« Blurried Lines » , Pharrell a fait exploser les compteurs du
Billboard ces deux dernières années. Mais les personnes présentes dans la foule
ne s’y trompent pas, Skateboard P c’est aussi N.E.R.D et des tonnes de tubes
rap dans les années 2000.
C’est d’ailleurs
au moment d’aborder ces chansons que le public va véritablement entrer en transe.
Après un « Come get it Bae » plutôt mollasson, l’homme au chapeau
enchaîne avec un medley ravageur : « Hot in Herre », « Pass
the Courvoisier », « Drop it like it’s hot » … jusqu’au morceau
qui va littéralement faire péter un plomb à tout le monde :
« Lapdance ». Le public saute dans tous les sens, et on est qu’à la
moitié du concert. Suivra bien évidemment « She wants to move » pour
clôturer le chapitre N.E.R.D, et on se quitte avec « Happy », où
Pharrell invite un gamin à danser sur scène avec toute sa troupe (à noter la
performance des danseuses).
C’est pas
tellement que Pharrell soit une bête de scène, c’est surtout qu’il a un
catalogue de malade (ou un super déhanché selon Hortense). Les hits se sont
enchaînés pendant plus d’une heure et faut dire qu’on s’est pas ennuyé une
seconde. Bien joué l’homme qui ne vieillit pas (for real). Voilà Pharrell c’est
fait, et la soirée ne fait que commencer.
M.I.A enchaîne sur
la North Stage, mais nous verrons tout ça de loin, et on a une bonne
raison : chopper des bonnes places pour LE show de la soirée, celui qu’on
attend depuis des mois, car oui … Outkast est dans la place ! Pour
profiter pleinement de ce moment, y a pas de secret faut se pointer à l’avance
et attendre une bonne heure, mais le jeu en vaut la chandelle. On se retrouve
juste devant les barrières qui longent la scène, un peu sur la droite, bref on
est paré pour deux heures de gros tubes à la sauce ATLienne. Et ça commence
fort avec « Bombs Over Bagdad », et tout de suite l’impression réconfortante
que les deux protagonistes sont dans un bon soir, surtout Andre 3000. Three
Stacks, perruque blanche et tenue noire arborant un « Sorry I forgot to
call you back », fait le pitre sur scène, s’enroulant dans le câble de son
micro, rappant 10 minutes de suite une valise à la main, ou s’amusant à faire
chier le DJ dès qu’il en à l’occasion. (les deux chanteuses background le
regarderont d’ailleurs plusieurs fois en mode « What the
fuck ?! »)
Pas de surprise
dans la playlist, on retrouve tous les gros singles de la discographie du
groupe, avec deux petites parties solos où Big Boi et Andre jouent leurs titres
persos, avant de se retrouver pour finir le concert en beauté. On se rend
compte aux réactions du public que les chansons les plus populaires du duo
restent « Miss Jackson » (for eva, for eva eva …), « Hey
Ya » (avec des filles du public invitées sur scène à shaker leur booty
« like a polaroid picture ») ou encore « Roses »(avec une
impro d’Andre assez loufoque). Pour ma part les morceaux qui m’ont achevés
n’étaient autres que « SpottieOttieDopaliscious », « She lives
in my Lap » et « So fresh so clean ».
J’ai
aussi particulièrement apprécié la présence de Sleepy Brown, toujours hyper
classieux, l’énergie de Big Boi, très pro et super enthousiaste, et le je ne
sais quoi d’Andre 3000. Franchement ce gars dégage un truc presque mystique
assez dur à expliquer. Un personnage quoi, le genre de mec qui manque au rap …
Le groupe finira avec « The whole World », achevant ainsi un set sans
surprises mais au combien puissant. Durant deux heures on aura eu droit à la
crème de la crème du rap sudiste, 20 ans de carrière qui nous ont rappelé le
statut légendaire du groupe.
Bref ce concert
d’Outkast était une pure réussite, et on se prend à rêver d’un éventuel retour dans les bacs pour le duo … Come on
Andre !!!
Voilà le premier
soir s’achève, on repart des étoiles pleins les yeux, mais la nuit est encore
longue à Frauenfeld, puisque lorsque les concerts se terminent, les différentes
boites de nuit improvisées qui pullulent sur le festival poussent le son
jusqu’à six heures du mat’ minimum. Autant dire qu’on dormira pas tout de suite
…
Day 2 : De YG
à IAM, il reste beaucoup de lettres (sorry)
Vendredi 11
juillet. Dur réveil, pas encore vraiment remis de toutes les émotions d’hier
soir (les concerts, et le souvenir en boite que Chingy avait existé), mais faut
pas chômer car la musique repart de plus belle du coté des deux scènes (pour rappel
durant les trois jours les concerts sont non stop de 12h à 2h du matin). On
ratera d’ailleurs Vic Mensa, autre rappeur new generation de Chicago. Un rayon
de soleil inattendu nous offrira un boost non négligeable, tout le camping clamant sa
joie à l’unisson à la vue de ce temps qui devenait inespéré. Time to go.
On commencera donc notre marathon rap
journalier à 14h avec YG. Le rappeur californien arrive avec une réputation
grandissante, notamment grâce à son album « My Krazy Life » rempli de
tubes « ratchetisés » à la sauce DJ Mustard. Pour être franc c’est un
album que j’écoutais de plus en plus ces derniers temps, et je dois avouer que
j’étais assez impatient …
Mon dieu … que ce
fût mauvais. Diego me glisse à l’oreille que c’était digne d’un showcase de
nightclub, et il a entièrement raison (c’était même peut être pire). Aucune
volonté, le charisme d’une poutre, YG est backé par lui même puisqu’il ne s’est
même pas donné la peine de retirer ses lyrics des instrus … Franchement un
calvaire. J’attendais tout de même « Do it to ya » avec son sample énorme repris à the Dogg Pound … mais ça n'arrivera pas, bref zéro pointé.
D’ailleurs dès le départ un détail ne jouait pas du tout en sa faveur : on
se demandait si c’était vraiment YG sur scène. Le mec dégageait rien, j’espère
pour lui que c’était juste pas son jour car sinon le bouche à oreille pourrait lui faire du tort. Clairement le plus mauvais concert du festival.
On enchaîne avec
Angel Haze. Je dois l’avouer, c’était vraiment pas le concert que j’attendais
le plus, mais force est de reconnaître que la jeune MC de Brooklyn a vraiment
mis du sien dans son set. Après une intro pour le moins foireuse de son DJ (qui
passe de la techno à Luniz), Haze va véritablement démontrer tout son potentiel
en live. Son album « Dirty Gold » ne m’avait pas emballé, mais une
fois sur scène, la donne change. Son énergie communicative couplée à sa
maitrise du mic va mettre tout le public dans sa poche, notamment avec « A
Tribe called Red » un des highlights de sa performance. Ajoutez à cela son
excursion dans la foule de Frauenfeld et vous obtenez un très bon concert qui
m’a persuadé de prêter plus d’attention à la carrière de la talentueuse
rappeuse.
On suivra ensuite
de loin A$AP Ferg, un artiste que personnellement je n’arrive pas encore trop à
cerner. Prestation qu’on qualifiera de solide tout au mieux, pas mal de titres
de son album « Trap Lord » dont vous l’aurez deviné l’inévitable
« Shabba » (son qui tournait sans arrêt aux alentours du festival).
Une petite reprise de « Move that Dope » de Future plus tard, Ferg à
la bonne idée d’inviter un special guest à le rejoindre sur scène. Mais de qui
s’agit t’il ? le suspense est à son … Oh non, oh il a déconné. YG ? Are you fucking
serious ? Bon bah merci de remuer le couteau dans la plaie, nous du
coup on se barre ASAP.
Une petite pause,
sieste même, et c’est reparti. On débarque pendant le set de Wiz Khalifa, un
des artistes qui je dois dire me branchait le moins sur le week-end. J’ai
jamais vraiment accroché avec sa musique trop proche de la pop à mon goût. Wiz
se la joue rockstar sur scène, toutes les tracks les plus populaires de sa
disco sont à l’honneur : « Black and Yellow »,
« PaperBond », «Work hard, Play hard » … Le public a l’air
satisfait, c’est bien le plus important. Peu de choses à dire sur ce concert en
fait, Wiz a fait son truc, ni plus ni moins. Next up, Macklemore.
22h, South Stage,
Macklemore & Ryan Lewis arrivent sur scène et la réception du public est
plus que chaleureuse. Live band au rendez vous, ça swing direct, et je suis
surpris d’entendre « Thrift Shop » aussi tôt dans le concert. Comme
vous pouvez l’imaginer c’est le délire dans le public, et je suis vite
contaminé. « Can’t Hold Us » suivra, et bien que je ne sois pas le
plus grand fan de Macklemore je dois avouer que dans ce contexte festivalier,
ça passe assez bien. Le rappeur de Seattle prend alors une pause pour nous
expliquer que tout va très vite dans la vie : il était déjà présent à
l’édition 2012 de Frauenfeld, sauf qu’à l’époque il jouait en début d’après
midi devant un public largement réduit. Des milliers d’albums vendus et
quelques Grammys plus tard (ahem), il revient en tête d’affiche cette année. Good for you buddy. Durant
son set, il aura même le temps de se déguiser en femme, et on aura bien
évidemment droit à « Same Love ».
Voilà pour les
sets rap US de la journée. Comme je le disais en début d’article, je suis
obligé de glisser quelques mots sur Youssoupha et IAM, qui pour moi ont été les
deux points culminants de la journée.
Tout d’abord
Youssoupha, qui se produisait à 16h. Un artiste qui ne m’est pas vraiment
familier, je devais connaître 2-3 sons au max (dont le superbe « Les
Disques de mon Père »), et bien ça ne m’a pas empêché de savourer cette
performance comme il se doit. Le « lyriciste bantu » comme il aime
s’appeler a livré un show tout simplement excellent, rythmé, et surtout n'a pas
lésiné sur le jeu artiste/public. Youssoupha est proche de la foule (il
finira dedans d’ailleurs), blague sans arrêt et diffuse sa bonne humeur de
manière contagieuse. Sous un soleil de plomb (Allelujah), Youss nous a fait
bouger dans tous les sens pour une Rhumba session carrément démente. Une très
bonne surprise.
Pour ce qui est
d’IAM, je dois dire que c’était un instant assez magique. Depuis le temps que
je voulais les voir … Dernier concert de la journée vers minuit, la pluie
s’intensifie, mais rien que de voir Kheops préparer ses platines m’immunise de
toute aigreur. Dans le peu de rap français que j’écoute, IAM
a toujours eu une place particulière. L’Ecole du Micro d’Argent
est un tel monument ... Cet album a tourné quand j'étais plus jeune, et je ne suis pas le seul dans le
public,alors pouvoir être aux
premières loges pour « La Saga », « Le Coté obscur » ou
encore une version hyper allongée de « Demain c ‘est loin » … Le pied intégral. Assez bizarrement, le groupe s'exprime en anglais entre les chansons, ne sachant pas trop à quel public il s'adresse au départ, mais après 20 minutes il était clair que le devant de la foule était peuplé de frenchies. Gros concert. Et
puis Shurik’n quoi, ce mec est incroyable. Comment ne pas péter un plomb quand
on entend les premières notes de « Samuraï » ? Pour la faire
courte, la pluie incessante et de plus en plus violente n’aura pas eu raison de
notre joie de voir les papis marseillais se faire plaisir comme des gamins sur
scène.
Conquis et
lessivés, c’est comme ça que s’achève cette deuxième journée frauenfeldienne.
On fera pas trop les fous ce soir, car demain le début de journée s’annonce
pour le moins excitant.
Day 3 : Fuck the Rain !
Dernier jour de l’Openair
Frauenfeld, et programme de fou furieux !
On commence dès
midi avec Isaiah Rashad, le nouveau prodige du label TDE. Forcément vu l’heure
on est peu nombreux, mais après les concerts « sold out » d’hier soir
c’est pas plus mal. Casquette sur la tête et langage corporel un poil
désinvolte, Isaiah se lâche au fil des tracks. Sa mixtape « Cilvia
Demo » est bien sûr à l’honneur, et certains titres prennent tout leur
sens dans ce contexte live, comme « R.I.P. Kevin Miller » et son
refrain envoûtant, je dirai même hypnotisant. Le peu de public présent partage la philosophie du jeune MC : « You live for bitches and blunts, we live for weed and
money ! ». Preuve supplémentaire de la reconnaissance des
spectateurs, c’est eux qui assureront le ravitaillement d’Isaiah en hydroponique
par deux fois durant le concert. A part ça « Soliloquy » gagne la
palme du morceau le plus populaire, et je fus un poil déçu par « Heavenly
Father », mais ça n’entachera en rien la performance. Au final, on se dit
qu’on a bien fait de se lever tôt, le rappeur originaire du Tennessee nous a
gratifié d’un bon show, même si j’ai été furtivement distrait par des jeunes
filles tatouées de partout, avec des bandanas rouges portés à la manière des
Bloods, posant en photo tout près de nous. J’espère pour la suite qu’elles
savent que Schoolboy Q est un ancien Crips …
Pas le temps de
chômer, un autre youngster du rap game US s’apprête à prendre le relais. Joey Bada$$ is in da place ! La
foule est déjà plus conséquente, et aux platines on retrouve Statik Selektah
qui nous ambiance bien le temps de la transition. Joey B. débarque sur l’intro
de sa dernière mixtape, Hortense est euphorique, et on se dit que ça va donner.
Contrat rempli. Le jeune rappeur de Flatbush a l’air rodé et jongle constamment
entre « 1999 » et « Summer Knights » : je pête un
plomb sur «Sweet Dreams », tout le monde est chaud pour « 95 Til’
Infinity ». Il est rapidement rejoint par un autre membre de Pro Era, Kirk
Knight. Après un hommage à Capital Steez (R.I.P.), on se remet dans le bain
avec un petit passage de « Hip Hop Hooray » de Naughty by Nature, qui
a totalement sa place ici tant le show sent bon les nineties. En regardant
autour de soi, on remarque aussi que Pro Era s’exporte bien, puisque qu’on
observera pas mal de produits dérivés du collectif new yorkais dans le public.
Coté musique on aura aussi droit à une exclu de l’album
« B.4.DA.$$ » et pour finir en beauté on savoure un petit
« Survival Tactics » qui ne fait également pas de mal : « Fuck
the Police » scande Joey, repris en chœur par la foule. On ne doutait pas
du talent de MC de la sensation new yorkaise, maintenant on sait aussi qu’il
maîtrise la scène. Il est 14h, le soleil pointe le bout de son nez, et le
niveau est en train de monter crescendo sur scène.
Pas de Underachievers
pour nous (si seulement les Flatbush Zombies avaient pu remplacer Danny Brown
…), on privilégie une bonne place pour le show suivant. Il est 16h, et le
« Man of the Year » himself, ScHoolboy Q, se prépare et laisse à son
DJ le soin de faire monter la température. Un Harlem Shake plus tard
(sérieux ?), Q débarque enfin pour ce qui sera un des grands moments du
festival à mes yeux. Avec sa cagoule orange et son légendaire bob sur la tête,
il va nous livrer plus d’une heure de show, passant en revue tous ses titres
phares : « There he go », « Yay Yay », « Collard
Greens », « Hands on the Wheel », « Studio » … Deux
albums seulement mais déjà tellement de tubes ! Coté ambiance la foule est
en symbiose totale avec l’artiste : ScHoolboy Q est vraiment au taquet,
motive la foule, fait preuve de pas mal d’humour et surtout n’a jamais baissé
en intensité tout le long du show. Voilà un artiste qui sait comment garder son
public réveillé, et qui a compris comment gérer son set parfaitement. Il finira
avec « Break the Bank », tout le public reprenant une dernière fois
en chœur le refrain. Schoolboy a bien fait le boulot, et c’est connu après
l’effort le réconfort, il se fera donc un petit plaisir en invitant deux
groupies à le rejoindre en loge. Respect.
Si le début de
journée était placé sous le signe de la jeunesse dorée du rap US, il est
temps à présent de rendre hommage à la vieille garde.
Immortal Technique
prend le mic à 17h sur la North Stage. On suivra ça de loin (l’appel du
poulet), mais on sera tout de même témoin des longues (interminables ?)
tirades du MC péruvien. Car oui c’est un fait, Felipe de son vrai nom est connu
pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, il suffit d’écouter sa musique pour
s’en rendre compte. Là il se lance dans un dézingage en règle de la presse
féminine, déplorant l’influence que celle-ci peut avoir sur les jeunes filles,
notamment la sienne. D’autres speechs virulents interviendront régulièrement
entre les morceaux, avec des messages « anti-industrie » qui vont de
paire avec son style de rap. Personnellement j’aime bien ce coté ronchon et
« jamais content » du personnage, par contre ceux qui attendent Kid
Ink doivent être un peu paumés …
Si le soleil avait
jusque là repris ses droits, tout allait changer au moment de se rendre au set
de Mobb Deep. La foule est juste immense à ce moment là, on est compacté sur
place, pas moyen de bouger un orteil. Havoc et Prodigy déboulent et le public
devient fou. On commence cash avec « Survival of the Fittest », et là
c’est le drame : une pluie diluvienne s’abat sur nous, et ce qu’on ne
savait pas à ce moment là, c’est que ça allait durer jusqu’au lendemain matin.
Les spectateurs les moins couverts se sauvent en courant, et l’heure du choix a
sonné : soit on en profite pour se rapprocher de la scène, soit on file
vers la South Stage pour choper un bon spot pour Nas. J’aime bien Mobb Deep,
mais voilà Nas quoi… mes amis et deux italiens rencontrés auparavant seront ok
avec la deuxième solution, on écoutera "Shook Ones" de loin …
Le déluge ne
s’arrête pas, je sens l’eau rentrer dans mes bottes, et on commence à
s’impatienter. L'attente est longue, Diego et son pote italien balancent des "Fuck the rain" à tue-tête. Heureusement on est bien placé, assis sur les barrières un peu
plus loin de la scène, du coup on surplombe tout le monde, s’offrant une vue
impeccable pour le show. DJ Green Lantern lance l’intro d’Illmatic et Nasir
Jones arrive sur les premières notes de « NY State of Mind » (ou
plutôt Switzerland state of mind comme il le dit). La foule devient dingue. Pas de doute, on fête bien
les 20 ans d’Illmatic. Nas va tout simplement reprendre son album culte dans
son intégralité et dans l’ordre d’origine. Pas de temps mort, on enchaîne tous
les classiques, avec un petit hommage à Michael Jackson au moment de « It
ain’t hard to tell ». Y a pas à dire, Illmatic en live, c’est quand même
un kiffe ultime. Nas déroule ensuite son répertoire, je pète mon plomb habituel
sur « Made you look » et « Get Down », suivront « Hate
me now », « Got yourself a gun » ou encore l’inévitable
« One Mic ».
Un show carré au
final, Nas a fait le taff sans en rajouter ( il a aussi bien fait attention de
pas trop s’exposer hors de la scène pour éviter les trombes d'eau ). Pour l’avoir déjà
vu à Paris il y a un an, j’étais forcément un peu moins hystérique, mais voir
une telle légende en live reste un plaisir immense, surtout quand on est posé comme au cinéma.
Bref, le festival
se termine en beauté, nous on court immédiatement s’abriter sous un chapiteau.
La dernière nuit sera longue, Diego peut réellement danser jusqu’à pas d’heure,
ou plutôt si, jusqu’à 6h du mat’ en l’occurrence. "The party don't stop" comme on dit.
La pluie s’est enfin
arrêtée, et en rentrant sur le camping, on assiste à un désastre comme j’en
avais rarement vu. C’était plus un camping, c’était Bagdad.(d'après ce que j'ai compris les conditions météo n'avaient jamais été aussi catastrophique que cette année)
Voilà, l’Openair Frauenfeld c'est fini, et il est indéniable que ce festival représente une étape obligée
pour tout fan de hip hop qui se respecte. Frauenfeld, c'était Noël avant l'heure. Le temps aura été tout pourri mais la qualité globale des concerts a complètement effacé ce paramètre.
Pour ce qui est de l'ambiance générale, c'était plutôt bon enfant. Bien sûr on a croisé quelques "spécimens", et certains avaient l'air un peu paumé (le genre de gars qui te met de la techno à fond la caisse au camping), mais globalement l'amour de la musique est un élément fédérateur (c'est beau je sais).
Sinon on aura
aussi vu :
-de la boue
-beaucoup de GoPros
-des pétards plus gros les uns que les autres (les suisses
déconnent pas)
-de la boue
-de la pluie
-une tente proposant des « free hugs »
-des prix déraisonnables
-des gros alcoolos ! « quoi ya des concerts
ici ? »
-un enfant avec sa mère (dans ce contexte de débauche c’était
marrant)
-des personnes se souciant plus de leurs selfies que des
concerts
-de la boue
Pour terminer, une chose est garantie : I'll be back next year !